Le nouveau plan cancer malgré la pandémie
Interview du Professeur Serge UZAN, Président du Conseil d’orientation stratégique, Institut universitaire de cancérologie et du Professeur Joseph GLIGOROV, directeur exécutif, Institut Universitaire de cancérologie. AP-HP Sorbonne Université
Le 4 février 2021, le Président de la République, lors de la journée mondiale contre le cancer a révélé les grandes lignes du nouveau plan décennal (2021 - 2030).
Comme nous l’avons évoqué dans le bulletin de l’Ordre de Paris : quelles leçons tirer de la pandémie ?
- La première est que cette pandémie aura provoqué des retards de prise en charge des cancers, mais rendons hommage aux équipes de soins oncologiques qui ont su répondre aux spécificités de la pandémie en réduisant au maximum les effets du report des diagnostics et des traitements.
- La seconde est que la recherche peut être efficace, à condition d’y mettre les moyens ! Si l’on veut, comme pour la pandémie, qu’on passe du virus au vaccin en moins d’un an, les moyens doivent être importants et renforcés par l’apport de Fondations comme « Vaincre le Cancer ». Les grands consortium ont gagné la bataille du vaccin ; c’est pourquoi les projets de la recherche européenne sont importants, mais doivent être à la hauteur des investissements et des attentes… Le Président a annoncé la création d’un centre européen de connaissances et d’un réseau de centres de prise en charge de très haut niveau afin de tirer la connaissance et les compétences « vers le haut ».
- La troisième est que les progrès les plus importants sont obtenus par une recherche transdisciplinaire Concernant la recherche sur le Covid, un article paru dans la prestigieuse revue Nature, associant plus d’une centaine de médecins, de physiciens, de mathématiciens, de statisticiens, de biologistes fondamentaux, a permis, en un temps record, d’identifier les sites d’action du Covid-19. C’est un modèle qu’il faut suivre.
- La suivante est que l’innovation « rapide » et sans perte de sécurité est possible Elle a permis de disposer d’armes vaccinales efficaces, grâce au gain sur le temps « administratif ». On peut, sans transiger sur l’éthique et la qualité de la recherche, aller plus vite dans la découverte de médicaments.
- La pandémie semble nous avoir fait découvrir le confinement que vivent les patients atteints de cancers. Il faut « déconfiner » les patients atteints de cancer, en particulier grâce aux soins de support (au premier rang desquels le sport), vers un retour à la vie normale et à des mesures « encourageantes », telles que la préservation de la fertilité. Il nous faut, comme je l’ai souvent dit, substituer systématiquement et de façon volontariste lorsque l’on traite un cancer, « un projet de vie à un projet de survie ».
Le Président déclarait dans son allocution : « Pour les cancers les plus graves, le risque le plus grand est au fond de ne pas en prendre ! ». Mais notre volonté d’innover et de prendre des risques ne doit jamais nous faire négliger « la solidité des preuves ».
L’Intelligence Artificielle est et sera essentielle pour « relier » les différents mécanismes physiopathologiques, mais elle ne peut, en aucune façon, remplacer « l’Intelligence émotionnelle » qui est essentielle et doit rester incontournable.
La recherche doit faire feu de tout bois y compris de celui qui nous a été fournit par l’épidémie de Covid. On a découvert, s’il en était besoin, l’importance de l’ARN messager dans la préparation de chaque individu à lutter contre le virus de la Covid. Il est extraordinaire de noter que, dans le même temps, des équipes, en particulier françaises, travaillent sur la préparation de vaccins contre le cancer basés sur l’utilisation de l’ARN Messager. Il permettrait de renforcer l’immunité de l’individu contre son propre cancer. Ces pistes extraordinaires sont en cours d’exploration et seront, à n’en pas douter, un espoir pour les mois et années futurs.
Abordons brièvement le Plan Cancer lui-même, en remarquant que pour la première fois, il s’agit d’un plan décennal et non plus quinquennal, qui permet de voir plus grand et plus loin et d’évaluer.
Les principaux éléments de ce plan peuvent être retrouvés sur le site de l’Institut National du Cancer. Les Plans Cancer précédents, en 2003, en 2009 et en 2014, ont ciblé des objectifs très précis, qui ont été en partie atteints. Rappelons que le 3ème Plan Cancer avait démontré que la survie des patients est étroitement dépendante de la qualité et du niveau de formation des acteurs de santé, d’où l’importance non seulement de la formation initiale, mais également de la certification périodique.
Rappelons simplement que ce plan s’est fixé 4 axes prioritaires :
- L’axe 1 : améliorer la prévention et par conséquent le dépistage avec de nouveaux dépistages tels que celui du cancer du poumon chez les sujets à risque. SI chaque année, 9 millions de personnes se font dépister en France, on reste très loin du compte. C’est le cas par exemple pour le cancer colorectal, or 90 % de ces cancers peuvent être guéris s’ils sont détectés à un stade précoce. Il faut signaler ici l’initiative intéressante de certaines équipes de créer des plateformes d’évaluation et de gestion du risque de cancer, permettant non seulement de prédire le risque d’un cancer, mais également de mettre en œuvre des stratégies de réduction et d’en évaluer l’impact.
- L’axe 2 est celui qui consiste à limiter les séquelles et à améliorer la qualité de vie. En un mot, il s’agit de tenir compte dans le dispositif d’évaluation, du rapport bénéfice / risque thérapeutique et cette stratégie peut également être étendue aux dispositifs médicaux
- Le 3ème axe est celui de la lutte contre les cancers de mauvais pronostics.
- Enfin, l’axe 4 permettra de s’assurer que les progrès bénéficient à tous ! Il faut mettre à part la question des cancers de l’enfant. Ces cancers, bien que rares, touchent près de 2 000 enfants de moins de 15 ans chaque année et 700 adolescents de 15 à 19 ans. Des progrès considérables, en termes de préservation de la fertilité, mais aussi en termes de traitements, font qu’aujourd’hui plus de 4 enfants sur 5 sont guéris et c’est probablement un des points les plus encourageants des précédents plans cancer, même s’il faut maintenir nos efforts vers un objectif encore plus ambitieux. Au total, tous ces objectifs ont un coût qui a été évalué par l’INCa, pour ce plan décennal, à 1,7 milliard d’Euros pour cette période. Mais toutes les aides « supplémentaires » sont les bienvenues !!!