Edito du Professeur Jacques CADRANEL
Chef du service de pneumologie et oncologie thoracique. (APHP Hôpital TENON, GRC 04 Théranoscan, Sorbonne Université, Paris) le Professeur Jacques CADRANEL revient sur les dernières avancées de la recherche contre le poumon : "Après une décennie d'innovation thérapeutique pour vaincre le cancer du poumon, ne pas relâcher le combat..."
Dans les années 2010, le diagnostic du cancer du poumon consistait à séparer les cancers non à petites cellules (CBNPC) (85% des cas), des cancers à petites cellules (CBPC) (15% des cas). La majorité des cancers du poumon était diagnostiqué à un stade tardif de la maladie et le traitement de référence était une chimiothérapie avec deux médicaments dont un sel de platine (doublet de platine).
Depuis, c’est toujours environ 45 000 nouveaux cancers du poumon qu’il faut soigner en France et le cancer du poumon reste la première cause de mortalité par cancer dans le monde.
Néanmoins, il y a eu d’extraordinaires innovations thérapeutiques ces dix dernières années, mais le combat contre le cancer du poumon de doit pas se relâcher.
Les progrès sont d’abord venus de l’identification de certaines modifications de l’ADN appelées “mutations“ uniquement retrouvées dans les cellules cancéreuses.
Dans certains cas, une mutation particulière donne un avantage sélectif aux cellules cancéreuses qui vont se multiplier activement, mais aussi devenir dépendantes de cette mutation pour survivre.
Des médicaments ont ensuite été développés pour cibler ces mutations, “les thérapies ciblées“ permettant une diminution rapide, profonde et durable de la taille des lésions cancéreuses.
Le bouleversement a été tel, que les malades atteints de CBNPC métastatiques qui portent une de ces mutations ont vu leur survie s’améliorer de l’ordre d’un an à plus 3 à 5 ans. Aujourd’hui ce sont plus de dix mutations qui peuvent être identifiées au moment du diagnostic du cancer.
Aujourd’hui ce sont également plus d’une vingtaine de thérapies ciblées qui existent pour traiter ces cancers. Les médicaments se sont améliorés avec le développement dans le temps de molécules de 1ère, 2ème et maintenant 4ième génération, devenant de plus en plus efficaces et de mieux en mieux tolérées.
Il est désormais question de les donner à la place de la chimiothérapie y compris chez les malades opérés, pour diminuer le risque de rechute.
Néanmoins, comme pour les infections et les antibiotiques, les cellules cancéreuses deviennent résistantes aux thérapies ciblées et il nous faut trouver des stratégies d’associations pour éviter ces phénomènes.
Finalement, deux difficultés nous préoccupent et doivent faire l’objet d’une alliance entre malades, aidants et soignants pour les résoudre. - La première est la difficulté des médecins de certains établissements à prescrire les tests diagnostiques qui sont leurs sont désormais facturés, créant un risque d’inégalité territoriale. - La seconde est la difficulté pour les thérapies ciblées d’accéder au remboursement par la collectivité, sous prétexte que leur évaluation n’a pas été faite en comparaison avec la chimiothérapie dont on connait parfaitement la moindre efficacité et la moins bonne tolérance par rapport aux thérapies ciblées. Cette posture récente de nos tutelles, fait que certains industriels retirent leurs molécules du marché français, alors que certains malades ont pu les recevoir dans le cadre des essais thérapeutiques ou des dispositifs “d’accès précoces“ qui faisaient de la France hier un exemple pour les autres pays.
Les progrès sont ensuite venus de la meilleure compréhension des stratégies d’évitement mises en place par les cellules cancéreuses pour échapper à leur reconnaissance et à leur destruction par le système immunitaire. Le principe en est simple, mais les stratégies multiples. L’une d’entre elles consiste pour les cellules cancéreuses, à se vêtir d’un signal de blocage de la réponse immunitaire i.e. “la protéine PD-L1“, lorsqu’elles ont été reconnues par les cellules de l’immunité anti-cancéreuse. Très rapidement, l’utilisation de médicaments bloquant cette protéine à la surface des cellules cancéreuses i.e. “les anticorps anti-points de contrôle de l’immunité“, a montré une efficacité supérieure à la chimiothérapie, tout d’abord en dernière ligne et maintenant en première ligne de traitement. De plus les effets secondaires sont moins fréquents et moins sévères que ceux de la chimiothérapie. Néanmoins, les effets secondaires de ces immunothérapies peuvent simuler des maladies auto-immunes parfois graves, toucher tous les organes (peau, thyroïde, colon, muscles, poumon et cœur), persister plusieurs mois après leur interruption et voir nécessiter un traitement par cortisone.
De manière tout à fait surprenante, certains patients peuvent voir leur maladie totalement disparaitre et ne plus réapparaitre cinq après le début du traitement alors que celui a été interrompu. Cette immunothérapie peut parfois être utilisée seule à la place de la chimiothérapie pendant une durée de deux ans ou associée à la chimiothérapie. L’enjeu stratégique pour nous est de trouver des marqueurs (cliniques, biologiques, radiologiques, génétiques…) qui permettraient de prédire leur efficacité, d’éviter pour certains malades leur association avec la chimiothérapie et même d’envisager des traitements d’une durée raccourcie à quelques mois. La mesure simple de l’expression de la protéine PD-L1 à la surface des cellules cancéreuses est déjà utilisée en pratique et très facile à obtenir.
Nous sommes là encore confrontés à des défis qu’il nous faut relever ensemble. Le premier réside encore dans la nécessité d’obtenir l’ensemble des résultats des biomarqueurs avant de débuter un traitement anti-cancéreux. Débuter une immunothérapie chez une personne qui a une tumeur qui exprime fortement PD-L1, mais qui a une mutation de sensibilité à une thérapie ciblée expose le malade à une non-efficacité de l’immunothérapie et au retard à débuter la thérapie ciblée.
L’autre défi est celui de la recherche académique qui nécessite du temps, de l’argent et la participation des malades. En effet, nous devons réaliser des études évaluant différentes stratégies thérapeutiques. Elles ont pour objectif de définir la meilleure séquence thérapeutique pour une meilleure efficacité et une moindre toxicité. Elles ont aussi comme intérêt une réduction considérable du coût des traitements : i) coût direct lié au prix du médicament, ii) coût indirect lié aux traitements des complications inutiles et évitables et iii) coût sociétal en permettant aux malades la poursuite de leur vie sociale et professionnelle.
Les progrès réalisés dans la prise en charge des cancers du poumon à un stade avancé sont en train d’être introduits dans les stratégies thérapeutiques des phases plus précoces de la maladie en combinaison avec les traitements chirurgicaux et radiothérapeutiques, afin de guérir plus de malades.
Néanmoins, la décennie à venir doit se projeter dans le domaine de la prévention et du dépistage, domaine où les malades et les soignants doivent devenir force de proposition politique. Plus de 80% des cancers du poumon sont en rapport avec un tabagisme. Il est donc nécessaire de mettre en route une politique nationale de prévention scolaire de l’entrée dans le tabagisme pour les enfants dés 12 ans et une politique européenne d’augmentation majeure et harmonisée du prix du tabac. En parallèle, l’amélioration du dispositif d’accompagnement au sevrage tabagique doit évaluer le “vapotage“ à côté des substituts nicotiniques et de la varénicline.
S’intéresser au risque du tabagisme ne doit pas faire ignorer les risques professionnels, environnementaux (pollution, alimentation, radons) et familiaux.
A côté de cette approche préventive, le dépistage par scanner thoracique “faiblement“ dosé doit être accompagné. Au moins deux études l’une américaine, l’autre européenne ont démontré une réduction de plus de 20% du décès lié au cancer du poumon par un dépistage précoce ; le scanner permettant de dépister également la bronchopathie chronique obstructive, l’emphysème, mais aussi certaines maladies des coronaires principales causes de mortalité en France.
La France a pris un grand retard dans ce domaine et il est grand temps de la rattraper pour Vaincre le cancer du poumon.