l’Architecture clonale des leucémies aiguës myéloïdes
Par le Professeur Jean Claude CHOMEL, Responsable de l’Unité Médicale d’Onco-Hématologie Moléculaire, Service de Cancérologie Biologique, Centre Hospitalier Universitaire de Poitiers, membre du Conseil Scientifique de VAINCRE LE CANCER.
Les leucémies aiguës myéloïdes (LAM) sont des hémopathies malignes affectant les cellules hématopoïétiques de la moelle osseuse. Leur incidence annuelle est d’environ 5 cas pour 100000 habitants et leur pronostic reste globalement défavorable.
Un cancer de la cellule souche hématopoïétique
Notre sang est composé de différents types de cellules qui toutes jouent un rôle physiologique majeur. Ces cellules sont produites dans la moelle osseuse à partir d’un contingent de cellules souches hématopoïétiques (CSH) selon un processus régulé, l’hématopoïèse.
Dans les LAM, une hématopoïèse leucémique remplace peu à peu l’hématopoïèse normale (Figure 1).
Des cellules sanguines immatures (les cellules blastiques) prennent la place des cellules normales, les empêchant ainsi d’accomplir leurs fonctions physiologiques.
L’existence de cellules souches leucémiques (CSL) a été validée pour la première fois à la fin des années 1990. Dans les LAM, une CSH (ou un progéniteur hématopoïétique) se transforme, suite à l’accumulation d’anomalies génétiques, en une CSL. Les LAM sont ainsi des maladies clonales (issues d’une seule cellule) et acquises (non héréditaires).
Les instruments de la génétique moléculaire
Les techniques classiques de cytogénétique et de biologie moléculaire mettent en évidence les remaniements chromosomiques et les mutations génétiques au diagnostic des LAM.
Depuis le milieu des années 2000, des méthodes de séquençage haut débit (NGS pour next generation sequencing) ont été développées. Dans le cas des LAM, le séquençage complet du génome (WGS pour whole genome sequencing) a permis de caractériser les mutations les plus fréquentes. Le plus souvent, il n’est pas nécessaire de séquencer tout le génome, mais uniquement les exons (WES pour whole exome sequencing) ou un panel de gènes prédéfinis (NGS ciblé). Le RNAseq (pour RNA sequencing) permet en plus de la détection de mutations, l’étude de l'expression génique et la caractérisation des réarrangements moléculaires (issus de remaniements chromosomiques). Enfin, des progrès récents ont permis de réaliser une analyse génomique ou transcriptomique à l’échelle d’une seule cellule (single cell sequencing, single cell gene expression).
L’évolution clonale des LAM
Au diagnostic, plusieurs anomalies génétiques sont détectées dans les cellules leucémiques. Le développement d’une LAM passe par différentes étapes ; état préleucémique, blocage de la maturation cellulaire, prolifération des cellules leucémiques.
La Figure 2 schématise cette évolution clonale en partant d’une CSH ou un progéniteur hématopoïétique normal. - Dans un premier temps, cette cellule subit une modification génétique et le clone muté se développe. - Ce processus se reproduit plusieurs fois (anomalies différentes) sur des CSH déjà mutées. - Lorsque la maladie est diagnostiquée, différents clones malins (portant un nombre variable d’anomalies génétiques) composent la moelle osseuse du patient ; c’est ce qui définit l’architecture clonale de la LAM et traduit le phénomène d’hétérogénéité tumorale.
Comme le suggère la Figure 2, si le clone leucémique majoritaire identifié au diagnostic est souvent le plus agressif, un clone minoritaire peut avoir la capacité de résister au traitement et d’initier alors une rechute.
L'Intérêt du typage génétique des LAM
Etabli au diagnostic, le typage moléculaire permet de détecter des biomarqueurs pronostiques et prédictifs de la maladie.
Une cible thérapeutique peut alors être mise en évidence permettant alors une thérapie ciblée. Les anomalies caractérisées peuvent également servir de marqueurs de suivi (évaluation de la maladie résiduelle).
Dans des cas de rechute après traitement, une analyse plus complète (WGS ou WES) peut être proposée au patient afin d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. Les LAM ne peuvent cependant pas être réduites à leur seul profil génétique.
Le concept de biologie intégrative vise à combiner les données épigénétiques, génomiques, transcriptomiques, protéiques et cliniques afin d’avoir une vision plus réel de la leucémie, et par conséquent d’aller vers une médecine de précision.
Tous les développements actuels et à venir ouvrent une nouvelle ère dans la compréhension globale des mécanismes cellulaires et moléculaires conduisant aux leucémies aiguës myéloïdes. Ils devraient sans nul doute faciliter la mise en place de stratégies diagnostiques et thérapeutiques (thérapie ciblée, immunothérapie) de plus en plus personnalisées.
C’est uniquement grâce aux dons que nous pouvons financer ces programmes de recherche innovants. Nous comptons sur vous pour continuer à nous soutenir.