Cancers Pédiatriques : de formidables progrès ces dernières années mais encore beaucoup d’efforts et de recherches nécessaires pour guérir plus et guérir mieux !

Décryptage sur les progrès de la recherche dans le traitement des cancers pédiatriques, par le Professeur MINARD-COLIN, Pédiatre oncologue, Département de Cancérologie de l’enfant et de l’adolescent et Thomas MERCHER, Directeur de Recherche, Coordinateur du programme PEDIAC, Institut Gustave Roussy. (article paru dans le journal VAINCRE n°88)

Cancers Pédiatriques : de formidables progrès ces dernières années mais encore beaucoup d’efforts et de recherches nécessaires pour guérir plus et guérir mieux !

Les cancers et leucémies de l’enfant et de l’adolescent sont rares et représentent moins de 1% des cancers diagnostiqués chaque année en France. Cependant, ils représentent la 1ère cause de décès par maladie chez les enfants de 1 à 15 ans. En France, 2100 à 2200 enfants et adolescents sont touchés avant l’âge de 18 ans chaque année – soit un enfant sur 500 à 600 - et malheureusement plus d’un enfant ou adolescent meurt chaque jour d’un cancer.

Les cancers de l’enfant sont différents de ceux de l’adulte.

Alors que l’adulte est surtout touché par les carcinomes (du sein, du poumon, du tube digestif, du rein..), les cancers pédiatriques les plus fréquents sont les leucémies et les lymphomes, les tumeurs cérébrales, et les tumeurs dites « embryonnaires » (qui miment les cellules de l’embryon). De nombreux tissus peuvent être touchés : système nerveux sympathique (neuroblastome), cervelet (médulloblastome), rein (néphroblastome). Les sarcomes (des os ou autres tissus) sont aussi fréquents notamment chez les adolescents. Les progrès de l’imagerie et de la biologie nous permettent aujourd’hui de mieux diagnostiquer et caractériser chaque cancer. On estime ainsi qu’il existe plus de 500 cancers pédiatriques différents.

Près de 40% des cancers de l’adulte ont des causes ou facteurs de risque connus (tabac, alcool, forte exposition solaire, ...) et pourraient être évitables par des mesures de prévention mais ceci ne s’applique pas aux cancers pédiatriques. A ce jour, 10 à 15% des cancers de l’enfant sont associés à une prédisposition génétique, une mutation de la séquence d'ADN retrouvée dans toutes les cellules de l'organisme, généralement identifiée quand plusieurs cancers sont diagnostiqués dans la famille chez des sujets jeunes. Si une telle prédisposition est identifiée, une surveillance rapprochée de l’enfant et de sa fratrie, quand elle est porteuse de la mutation, est mise en place pour détecter à un stade précoce d’éventuels autres cancers.

Dans les autres cas de cancers pédiatriques (85 à 90% des cas), des mutations sont également présentes mais ne sont pas familiales et s'accumulent uniquement dans les cellules tumorales. Certaines de ces mutations proviennent d'erreurs de nos cellules qui surviennent dans le contexte d'une prolifération importante des cellules, normalement observée dans un être en développement, et d'une immaturité des organes et du système immunitaire.

De nombreuses recherches s’attachent à identifier les différentes causes et origines des cancers pédiatriques et à comprendre pourquoi certaines cellules sont particulièrement susceptibles aux effets de certaines mutations spécifiquement au cours du développement précoce.

Depuis 2020, le programme de recherche PEDIAC, soutenu par l’Institut National du Cancer (INCa), étudie le rôle des facteurs environnementaux, génétiques et épigénétiques et le lien entre développement des organes et cancer. Il s’agit aussi de répondre à une question bien compréhensible des jeunes patients et de leur famille : pourquoi ? et pourquoi moi ?

On guérit aujourd’hui plus de 80% des cancers de l’enfant mais ce taux varie de 0% à près de 100% selon les cancers. Ainsi, la majorité des leucémies, lymphomes et tumeurs localisées répondent bien aux traitements. Cependant, même au sein de ces entités, on observe une grande variabilité biologique et pronostique. Par exemple, certaines leucémies aigües myéloblastiques ou sarcomes localisées sont porteurs d’altérations moléculaires spécifiques et résistent aux traitements standards. Les tumeurs métastatiques, en rechute, ou certaines tumeurs cérébrales comme le gliome malin ont également un pronostic plus sévère.

De formidables avancées ont eu lieu ces dix dernières années. Une thérapie cellulaire, les cellules CAR-T (globules blancs des patients modifiés génétiquement pour cibler et éliminer les cellules cancéreuses), a révolutionné le pronostic de certaines leucémies et lymphomes résistants aux traitements. Ainsi, de jeunes patients incurables sont en rémission durable avec ce traitement. Des résultats très préliminaires suggèrent une activité des CAR-T dans d’autres cancers de l’enfant comme les gliomes ou les neuroblastomes. D’ici une dizaine d’années, cette thérapie devrait connaître un développement important.

D’autres immunothérapies ont également permis des progrès majeurs comme les anti-PD1 dans les lymphomes de Hodgkin, ces traitements donnant plus de 80% de réponses en rechute. Dans les neuroblastomes métastatiques, pour lesquels la survie n’était que de 30%, un anticorps (anti-GD2) porte ce taux à près de 50%. Dans les lymphomes de Burkitt, l’ajout à la chimiothérapie d’un anticorps (anti-CD20) a fait passer le taux de guérison à plus de 95%.

La recherche doit se poursuivre pour mieux comprendre comment les cancers pédiatriques échappent au système immunitaire et développer d’autres immunothérapies efficaces.

La biologie moléculaire, qui permet de comprendre les conséquences des mutations sur l'expression des gènes et le fonctionnement des protéines, et les traitements dits « ciblés » ont permis également de grandes avancées. En France (situation unique en Europe), le profilage moléculaire des cellules tumorales est désormais réalisé pour chaque enfant. Ce profilage révèle les mutations portées par la tumeur, qui pourront être ciblées par de nouveaux traitements.

Ces traitements ciblés peuvent se révéler très efficaces comme une famille de médicaments inhibant le gène NTRK qui est impliqué dans certains cancers pédiatriques. Plus de 90% des tumeurs qui portent cette anomalie répondent à ces médicaments. Il s’agit là de la situation idéale : une anomalie et un traitement actif qui cible cette anomalie. Cependant, certaines résistances peuvent survenir et bien souvent, une ou plusieurs anomalies sont identifiées sans qu’un traitement ciblant efficacement cette anomalie n’existe. Il faut donc soutenir la recherche pour poursuivre l’innovation et développer de nouveaux médicaments ou des combinaisons de médicaments existants, de nouvelles formulations, de nouvelles voies d’administration et permettre l’accès plus rapide des enfants à ces nouveaux traitements.

Enfin, la question des séquelles induites par la maladie et les traitements est un enjeu majeur, en particulier dans les cancers pédiatriques car ces enfants et adolescents guéris sont exposés à ces séquelles toute leur vie d’adulte (ex: risque de second cancer, troubles cardiovasculaires, anomalies osseuses, problème de fertilité liés à la chimiothérapie, mais aussi troubles psychomoteurs liés à l’irradiation du système nerveux central, séquelles esthétiques ou psychologiques,…). Un adulte sur 1000 est aujourd’hui une personne guérie d’un cancer dans l’enfance.

Leur suivi à long terme est crucial pour prévenir, dépister et prendre en charge précocement ces complications. Il est également très important de comprendre pourquoi certains patients soufrent de ces complications afin de développer à l’avenir des traitements plus adaptés à la susceptibilité de chacun, « à la carte ». Aujourd’hui les consultations de suivi à long terme, qui impliquent plusieurs disciplines de soin et un temps long de consultation, ne sont pas suffisamment valorisées. La Société Française des Cancers de l’Enfant (SFCE) plaide pour qu’une consultation spécialisée de suivi à long terme puisse être mise en place à l’hôpital. Selon le type de complications, les patients seraient ensuite orientés vers leur médecin traitant ou un spécialiste.

L’amélioration constante de la qualité des soins (plateformes diagnostiques, multi disciplinarité, soins de support,...), la structuration en réseau d’expertise- essentielle pour ces cancers rares et complexes-, la considération des spécificités liées à l’âge- du nouveau-né, jeune enfant à l’adolescent et au jeune adulte- et les avancées de la recherche, ont permis de formidables progrès dans la guérison des cancers pédiatriques. Il faut poursuivre nos efforts pour mieux comprendre leur cause et leur origine, intégrer les technologies récentes de biologie moléculaire et d’analyse, et encore et toujours accélérer l’innovation.

Restons mobilisés pour vaincre le cancer pédiatrique !