Génération d’avatars tumoraux par les organoïdes tri-dimensionnels in vitro : Potentiel majeur des cellules souches pluripotentes pré- tumorales et tumorales
Par le Professeur Annelise BENNACEUR-GRISCELLI, Directrice de CiTHERA, INSERM U1310
Les travaux pionniers de S. Yamanaka conduisant à la technologie révolutionnaire des cellules souches pluripotentes induites (CSPi) permettent la reprogrammation d'une cellule somatique adulte vers un état embryonnaire, similaire aux cellules souches embryonnaires (CSE).
Depuis leur description initiale en 2006 chez la souris et en 2007 dans les cellules humaines, les CSPi ouvrent la possibilité de générer des cellules différenciées à des fins de production de nouveaux biomédicaments de thérapies cellulaires. Plus récemment la possibilité de générer des structures semblables à des organes appelées «organoïdes» initialement décrites à partir d'échantillons de tissus adultes a été décrite par plusieurs équipes. Cette technologie est actuellement applicable aux cellules de cancer, permettant de reproduire in vitro une tumeur pour plusieurs types d’applications.
Dans le domaine de la cancérologie, la possibilité de reproduire un cancer d'un organe donné représente un intérêt pharmaceutique majeur pour développer et tester de nouveaux médicaments et faire évoluer la médecine dite de précision vers une médecine personnalisée.
En utilisant des organoïdes dérivés de tissus adultes, plusieurs études ont montré que les organoïdes générés à partir de la tumeur initiale ainsi que de leurs homologues métastatiques correspondaient étroitement à la tumeur d'origine. Établis à partir des biopsies tumorales initiales avant toute thérapie, ces organoïdes se forment in vitro dans des conditions de culture adaptées et vont servir d'outils pour tester in vitro l’efficacité des médicaments. Cette approche nécessite néanmoins la disponibilité d'un échantillon de tumeur du patient, ce qui n'est pas toujours possible. La croissance de l’organoïde de la tumeur initiale est également limitée car la biopsie tumorale ne récapitule pas toujours les sous-types hiérarchiques d'une tumeur, notamment des cellules souches tumorales. L’ensemble des composants cellulaires du microenvironnement intra-tumoral est représenté, y compris les cellules immunitaires compétentes ou immunosuppressives ce qui permet de tester également les réponses potentielles des immunothérapies telles que les inhibiteurs de point de contrôle.
Notre unité Inserm UMRS1310 a développé avec CiTHERA (https://cithera-ipsc.com) une plateforme technologique d’organoïdes à partir de CSPi parfaitement caractérisées (cf. figure). En combinant la biologie cellulaire avec les données omiques et les données cliniques nous générons des avatars tumoraux numériques par intelligence artificielle. Ces jumeaux fonctionnels vont permettre d’identifier des cibles pertinentes, délivrer plus rapidement des thérapies ciblées et valider l’efficacité des nouveaux médicaments.
A l’opposé des organoïdes dérivés des biopsies tumorales, les organoïdes produits à partir des CSPi (cellules souches pluripotentes induites) sont des outils précieux pour les patients atteints de cancers héréditaires. L’avantage de modéliser les cancers à partir d’organoïdes issues des CSPi est de générer les cellules souches tumorales initiatrices des cancers, de capturer l'hétérogénéité génétique ainsi que les modifications moléculaires liées à la progression d'un cancer donné. Ces organoïdes de cancer ont l’avantage de s’amplifier et de reproduire la dynamique spatiale et temporelle de la génétique d’un cancer.
Dans la situation unique du contexte des cancers héréditaires, en particulier chez les porteurs de la mutation oncogène sans cancer établi, les organoïdes spécifiques d’un tissu vont nous permettre de modéliser le risque prédictif de développer un cancer, en identifiant les cibles intrinsèques à l’organoïde et facteurs environnementaux, et des nouveaux biomarqueurs précoces grâce au séquençage à haut débit et l’analyse bioinformatique des data de cancers issus de cohortes. Le but ultime sera de prévenir la survenue des cancers, comme les cancers du sein, du rein et du colon associés à des gènes de prédisposition.
Notre équipe avec les Pr Ali Turhan et Frank Griscelli et les Dr Jinwook Hwang et Christophe Desterke a décrit pour la première fois des organoïdes mimant parfaitement les caractéristiques moléculaires de ces cancers héréditaires. A partir d’un simple tube de sang d’un patient porteur d’une mutation génétique constitutive et à risque de développer un cancer, les CSPi générées permettent la production normée d’organoïdes à grande échelle en bioréacteurs ou en méthode micro-fluidique. Nous avons également confirmé que la même CSPi permettait de modéliser d’autres cancers comme le glioblastome. Nous avons montré que les structures 3D neuronales produites à partir de cette CSPi présentent les caractéristiques moléculaires de celles observées dans les glioblastomes.
La technologie des CSPi permet également à l'aide de l'édition du génome de générer des mutations oncogènes, et de former des organoïdes tumoraux avec de multiples altérations génétiques. Il a été ainsi montré que la surexpression de l'oncogène KRAS G21D dans les cellules acineuses du pancréas permet le développement du cancer du pancréas in vitro, et l'induction d'une voie génomique similaire à l'adénocarcinome pulmonaire qui est un gène ‘driver’ dans 30 % des cas. Cette étude a permis de déterminer les changements génomiques précoces survenant dans les cellules AT2 du pancréas, et dont certains étaient similaires aux caractéristiques moléculaires de l'adénocarcinome pulmonaire primaire.
Le savoir-faire unique de notre équipe va permettre, à terme, d’accélérer le développement de nouveaux candidats médicaments en oncologie, et, à plus longue échéance, de proposer aux patients atteints de cancers des approches thérapeutiques de plus en plus personnalisées. Cette nouvelle technologie d’organoïde de cancers dérivés des CSPi se développera pour étudier plusieurs sous-groupes de cancer pour une même mutation oncogénique en vue d’étudier la sensibilité des thérapies ciblées dans plusieurs types d’organoïdes. Cette technologie de rupture bénéficiera enfin de la technologie microfluidique, pour cribler des banques de molécules à partir de la découverte de nouvelles cibles conduisant à une intervention thérapeutique. L’atlas d’organoïdes humains récemment décrit sera une aide majeure pour générer un « catalogue » d’analyses unicellulaires et de profilage génomique spatial d’organoïdes de cancers humains. Le développement d’agents thérapeutiques est lent et s’alourdi par une attrition couteuse, liée aux échecs dans les phases tardives des essais cliniques et au travers des tests R&D des laboratoires.
L’accès aux organoïdes humains va permettre une information complémentaire sans précédent et ouvrir la voie à la réduction drastique de l'utilisation d'animaux pour des expériences de découverte de médicaments et de réduire les échecs cliniques chez l’homme par des évaluations précliniques relevantes de l’efficacité et de la toxicité des candidats médicaments. La mise en œuvre de tels modèles constitue donc un des enjeux majeurs des industries de santé.
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