Thrombose, anticoagulants et cancer : nous devons aller encore plus loin !
Par le Professeur David SMADJA Service Hématologie Biologique, Hôpital Européen Georges Pompidou Inserm UMR-S1140 et Université Paris Cité
Depuis les premières observations de Trousseau en 1865 décrivant l’association entre thrombose veineuse et cancer, il est maintenant bien connu que le risque de thrombose veineuse est 4 à 6 fois plus important en cas de cancer.
Vers une anticoagulation personnalisée ?
Le traitement par héparines de bas poids moléculaires (HBPM) a longtemps été le seul traitement des thromboses veineuses associées au cancer (CAT). Les études testant les anticoagulants oraux directs (AOD) ont permis leur intégration dans les recommandations sur la prise en charge des CAT. De nombreuses questions restent cependant en suspens. Dans notre équipe, le Professeur Isabelle MAHE conduit une étude internationale prospective, randomisée en double aveugle (Étude APICAT) qui compare l’efficacité et la sécurité d’une dose réduite d’AOD par rapport à une dose pleine chez des patients 6 mois après la survenue de CAT. Cette étude permettra d’améliorer et de personnaliser la prise en charge des patients devant bénéficier d’un traitement anticoagulant au long cours.
« la double face de Janus » de la Coagulation dans le cancer :
Aujourd’hui, le lien entre coagulation et développement tumoral est clairement établi avec en particulier la thrombine, enzyme clé de la coagulation, décrite comme participant à la croissance des tumeurs et des vaisseaux tumoraux. Ainsi est arrivé rapidement l’idée qu’un anticoagulant serait un excellent traitement adjuvant du cancer. Ainsi, notre regretté mentor le Pr Guy MEYER a testé chez des patients avec un cancer du poumon en phase précoce une HBPM comme traitement adjuvant. Cet essai n’a démontré aucun effet sur la survie des patients. L’échec des traitements anticoagulants comme traitement du cancer doit nous faire repenser les effets de la coagulation sur la croissance tumorale ou la formation des vaisseaux tumoraux. En effet, la thrombine ou l’activation de son récepteur principal PAR1 sont connus pour avoir des effets positifs sur la croissance vasculaire. Cependant dans certaines conditions, la thrombine peut également avoir des effets bloqueurs sur cette croissance vasculaire. De la même manière, de nombreux essais in vivo ou in vitro avaient démontré des propriétés de blocage tumoral et vasculaire par les HBPM. Cependant, il y a aussi de nombreux arguments inverses qui montrent que les HBPM pourraient augmenter également la croissance vasculaire. Notre équipe vient de présenter au congrès de la société internationale d’hémostase et thrombose (Montréal, Juin 2023) des résultats montrant que l’inhibition du récepteur à la thrombine dans des cellules endothéliales augmentait leur capacité à former des vaisseaux mais aussi à exprimer des marqueurs d’immaturité ce qui fait de l’inhibition du récepteur à la thrombine plutôt une action pro-tumorale. Des résultats sur l’inhibition du récepteur de la thrombine sur des iPS allant également dans le sens d’un effet pro-tumoral ont été présentés par l’équipe du Pr RUF dans ce même congrès. Ces résultats sur le rôle ambivalent de l’activation ou du blocage de la thrombine ou de son récepteur, mais également ceux plus anciens sur les HBPM, pourraient expliquer au moins en partie l’échec des anticoagulants comme traitement adjuvant du cancer.
Notre équipe reste donc mobilisée sur la recherche clinique et fondamentale avec pour challenge de proposer à tous les patients atteints de cancer d’ici quelques années des traitements anticoagulants sur mesure, efficaces et avec une grande sécurité d’utilisation !
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