La Cardio-Oncologie : Une Nouvelle Spécialité en Plein Essor

le Professeur Emmanuel MESSAS, chef du département Hypervasc, Hôpital européen Georges Pompidou, fait le point sur la cardio oncologie, une nouvelle spécialité en plein essor, « qui se concentre sur la gestion des effets secondaires cardiovasculaires des traitements anticancéreux [..] »

La Cardio-Oncologie : Une Nouvelle Spécialité en Plein Essor

Depuis maintenant presque une décennie, nous avons assisté à de grandes avancées diagnostiques et thérapeutiques dans le domaine de l’oncologie, aboutissant au développement de nouveaux traitements très efficaces contre les cancers, mais potentiellement toxiques pour d’autres organes, notamment au niveau cardio-vasculaire. Ces traitements ont permis d’améliorer le pronostic des patients avec une diminution constante de la mortalité liée aux cancers et un accroissement considérable de la moyenne de survie. Parmi ces nouvelles thérapeutiques, nous pouvons citer les thérapies ciblées ou encore l'immunothérapie qui ont particulièrement révolutionné le traitement du cancer mais qui sont potentiellement toxiques pour le système cardio-vasculaire.

De ce constat, est né le besoin d’un suivi cardiovasculaire dédié aux patients d’oncologie, d’où la naissance de la cardio-oncologie. C’est donc une spécialité très jeune ; probablement la plus jeune des sous spécialités en cardiologie ; c’est ce qui fait qu’elle n’est pas encore très répandue, mais elle connait un développement exponentiel en réponse aux besoins croissants des patients et à la complexité croissante des traitements oncologiques. Il s’agit d’une discipline médicale émergente qui se concentre sur la gestion des effets secondaires cardiovasculaires des traitements anticancéreux et des complications cardiovasculaires induites par la maladie cancéreuses (maladie thrombo-embolique, métastase cardiaque, atteinte valvulaire, arythmie,…).

Par ailleurs, les facteurs de risques étant souvent croisés entre maladie cardiovasculaire et cancer (âge, tabac, sédentarité, obésité,…) on retrouve une proportion substantielle(de plus de 16%) de patients avec très haut ou haut risque cardiovasculaire et traitement anti-cancéreux. Cette association peut générer alors des évènements cardiovasculaires (insuffisance cardiaque, AVC, infarctus du myocarde, arythmie,..) dans plus de 10 à 20 % des cas en fonction des traitements initiés.

L'objectif principal de la cardio-oncologie est donc de prévenir, détecter et traiter les complications cardiovasculaires au décours des traitements, permettant ainsi aux patients de poursuivre leurs traitements anticancéreux tout en minimisant les risques de toxicité cardiaque. Cette stratégie passe par l’évaluation du risque HFA-ICOS (Heart Failure Association - International Cardio-Oncology Society) développé depuis 2020 qui permettrai d’évaluer le risque de survenue d’évènement CV chez un patient avant traitement anti cancéreux.

Depuis quelques années, nous avons vu passer plusieurs consensus d’experts sur la cardio-oncologie parmi lesquels le position paper de l’ESC publié en 2016 ou le consensus établi par la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO) paru en 2020, mais ce qui a vraiment révolutionné la spécialité, ce sont les 1ères recommandations nées suite à un immense travail réalisé par la Société européenne de cardiologie, en collaboration avec l’Association européenne d’hématologie (EHA), la Société européenne de radiologie thérapeutique et d’oncologie (ESTRO) et la Société internationale de cardio-oncologie (IC-OS). Ces recommandations publiées en 2022 constituent une étape importante dans la structuration de cette jeune spécialité qu’est encore la cardio-oncologie. Leurs recommandations se concentrent principalement sur 6 classes de thérapies anticancéreuses (anthracycline,anti-HER2, VEGF inhibiteurs, inhibiteurs de la tyrosine kinase, traitement dans le myélome, et les RAF et MEK inhibiteurs) évaluées en fonction du profil cardiovasculaire initial du patient et de leur type de toxicité cardio-vasculaire.

Unité de Cardio-Oncologie de l'Hôpital Européen Georges Pompidou

En parallèle avec ces recommandations des unités de cardio oncologie ont vu le jour en Europe et aux USA principalement. Nous vous présentons ici l’une des premières unités de cardio-oncologie de Paris, créée au sein de, l’Hôpital Européen George Pompidou (HEGP). Cette unité a vu le jour dès 2017 au sein du département cardiovasculaire. L’HEGP connu pour son tropisme cardiovasculaire (plus de 150 lits allant de la prévention CV en passant par la chirurgie cardiovasculaire et la réadaptation CV arque bouté sur un batiment de recherche PARCC dédié au maladie cardiovasculaire) abrite aussi un des plus grands centres oncologiques d’Ile de France englobant l’oncologie médicale, thoracique, digestive, l’uro-oncologie ainsi que la radiothérapie, avec une activité de recherche très dynamique, la cardio-oncologie s’est imposée comme une unité incontournable dans le cadre de l’institut CARPEM permettant une prise en charge adaptée et spécifique assurant le bon déroulement des traitements. Notre équipe est constituée de 4 cardiologues, un médecin interniste. Nous travaillons en étroite collaboration avec les oncologues, les urologues, les radiothérapeutes, mais également avec les pharmacologues (médecins de pharmacovigilance), les biologistes, les radiologues et les infirmières de pratique avancées (IPA). Nous disposons de consultations dédiées, d’hôpitaux de jour et d’explorations très pointues dédiés à la cardio-oncologie.

Prenons à titre d’exemple, les patients sous immunothérapie ; Les immunothérapies sont les traitements les plus récents qui ont révolutionné le pronostic de nombreux cancers. Ces inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (immune checkpoint inhibitors [ICIs]) sont actuellement les drogues les plus utilisées ; le principe étant de stimuler le système immunitaire du patient contre la tumeur. Malheureusement, le système immunitaire, une fois stimulé, peut s’attaquer parfois aux propres cellules non tumorales du patient et être à l’origine d’une toxicité systémique. Sur le plan cardiaque, la toxicité est très variable : myocardites, péricardites, insuffisance cardiaque, complications ischémiques, syndrome de stress (tako-tsubo) ou des troubles du rythme ou de la conduction. La prise en charge de ces patients commence déjà en pré thérapeutique, notamment si les patients ont déjà des antécédents cardiovasculaires connus, ou s’ils sont à risque de développer des toxicités cardiovasculaires sous traitement ; nous nous aidons pour cela des scores d’évaluation de risque disponibles dans les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie ; le bilan pré thérapeutique comportera souvent un examen clinique, un électrocardiogramme, des biomarqueurs cardiaques et une échocardiographie. Si le bilan pré thérapeutique est rassurant, nous donnerons le feu vert pour le traitement oncologique, mais une surveillance par les biomarqueurs cardiaques est systématique avant chaque nouvelle cure d’immunothérapie. Au moindre symptôme cardiaque ou en cas de mouvement des biomarqueurs, un complément de bilan (biologique et d’imagerie) sera rapidement lancé afin de détecter rapidement une éventuelle toxicité cardiaque nécessitant une prise en charge spécifique et afin de permettre ou pas la poursuite du traitement oncologique.

Recherche et Développement

Notre unité a toujours participé à tous les protocoles de recherche lancés par les services d’oncologie de l’HEGP, notamment avec les nouvelles thérapies ciblées, l’immunothérapie, ou les combinaisons chimio-immunothérapie. Nous avons également mené des projets de recherche en collaboration avec le Centre d’Investigation Clinique (CIC), et nous travaillons actuellement sur de nouveaux protocoles de recherche en hématologie en collaboration avec Cochin (Nouveaux inhibiteurs de la Tyrosine Kinase) et prévoyons de nous lancer dans de nouvelles recherches sur les nouveaux traitements par CAR T Cells, en collaboration avec Necker.
Nos efforts de recherche sont centrés sur l'amélioration continue de nos approches diagnostiques et thérapeutiques et sur l'innovation médicale. A travers ces différents projets, nous espérons développer de nouvelles stratégies pour prévenir et traiter les complications cardiovasculaires survenant sous traitement anticancéreux. Ces initiatives nous permettent de rester à la pointe des avancées médicales et de proposer à nos patients les traitements les plus récents et les plus efficaces.

En conclusion :

Les unités de cardio-oncologie assurent grâce à une approche intégrée, et une collaboration très étroite avec les oncologues, et les pharmacologues une prise en charge de qualité, adaptée aux besoins spécifiques de chaque patient, permettant ainsi d’améliorer leur qualité de vie, d’assurer le bon déroulement des thérapeutiques et de contribuer de manière significative à l'avancement des connaissances médicales dans le domaine de la cardio-oncologie.

Pr. Emmanuel Messas MD,PhD,FESC Chef du Département HYPERVASC (Cardio-oncologie,Médecine vasculaire,HTA,Prévention CV) DMU Cardiovasculaire et Transplantation Hôpital Européen Georges Pompidou Inserm UMR 970 Equipe 2