Retour du congrès annuel international de l'AACR 2024 à San Diego, Californie
Le congrès de l’American Association of Cancer Research (AACR) a été fortement marqué par les avancées majeures des vaccins thérapeutiques contre le cancer qui sont sur le point de devenir la prochaine immunothérapie anticancéreuse prometteuse.
L’INSERM U1310 a été sélectionnée pour présenter ses travaux de recherche sur les immunothérapies vaccinales universelles. Pour VAINCRE LE CANCER, le Professeur BENNACEUR-GRISCELLI revient sur les dernières avancées présentées au congrès de l’AACR.
Au cours de leur évolution, la tumeur subit des mutations génétiques avec comme conséquence la production de nouveaux antigènes ‘néo-antigènes’ que le système immunitaire peut reconnaître. Ces antigènes peuvent être certes éliminés par la réponse immunitaire, mais cette dernière reste inefficace. Une vaccination efficace contre ces néo-antigènes sont en cours d’étude. Les principales exigences pour une telle avancée impliquent la compréhension des mécanismes d’immuno-résistance des cancers, la spécificité, la fonctionnalité et la durabilité des réponses antitumorales par le système immunitaire. Les défis portent d’une part sur l’identification de néo-antigènes qui doivent être à la fois spécifiques de la tumeur et immunogènes, et d’autre part sur la prédiction efficace de leur présentation aux molécules HLA pour chaque patient. L’efficacité d’une vaccination sera également liée à une réponse immunitaire diversifiée contre une combinaison appropriée d’antigènes présentés par les molécules HLA du patient. L’ampleur, la qualité et la durée de vie de la réponse immunitaire de ces vaccins impliquent nécessairement de mieux comprendre les états fonctionnels des lymphocytes T au sein de la tumeur, et les interactions coordonnées entre les cellules immunitaires ‘tueuses’ et ‘suppressives’. Étant donné que chaque tumeur présente des caractéristiques uniques, une vaccination ultra-personnalisée ciblant les néo-antigènes de la tumeur du patient est une première approche actuellement utilisée. Les travaux des premiers essais cliniques dans le mélanome et le pancréas par des vaccins ARNm ont démontré une réponse immunitaire prometteuse.
Essai phase IIb d’un vaccin composé de néo-antigènes personnalisés dans le mélanome IIB-IV post-chirurgie (Keynote-942 - Moderna en collaboration avec Merck)
Après la résection chirurgicale d'un mélanome cutané à haut risque, les patients sont généralement traités avec des inhibiteurs « checkpoints » (pembrolizumab) pour prévenir la récidive tumorale, mais une proportion élevée de patients récidive encore dans les 5 ans. Dans le but de réduire ces taux de récidive, des vaccins néo-antigéniques personnalisés adjuvants (ARNm-4157) ont été testé dans un essai clinique de phase IIb, basés sur 34 néo-antigènes identifiés exclusivement dans la tumeur et selon le génotype HLA du patient. 157 patients atteints d'un mélanome de stade IIIB-IV complètement réséqué ont été traités pour recevoir soit l'ARNm-4157 administré par voie intramusculaire jusqu'à 9 doses plus pembrolizumab (n = 107), soit du pembrolizumab en monothérapie par voie intraveineuse toutes les 3 semaines jusqu'à 18 doses (n = 50). Avec un suivi médian de 23 mois pour le groupe combiné et de 24 mois pour le groupe monothérapie, la survie sans récidive était plus longue dans le groupe combiné et les taux de survie sans récidive respectifs à 18 mois étaient de 79 % et 62 %. Le taux de survie sans métastases à distance à 24 mois était de 92 % et 73 %. Ces résultats suggèrent que les patients traités avec l'ARNm-4157 présentaient un risque réduit ou retardé de récidive de la maladie dans des sites distants, et que l'ARNm-4157 améliore probablement les résultats en assurant la protection contre les métastases à distance au fil du temps. Parmi tous les patients inclus (n = 154), la plupart des événements indésirables liés au traitement étaient de grade 1 ou 2. Ces événements indésirables les plus courants étaient la fatigue, les frissons et les douleurs/réactions au site d’injection.
Vaccins personnalisés à ARN contre le cancer du pancréas – (Memorial Sloan Kettering, New York, NY, États-Unis)
L'adénocarcinome canalaire pancréatique (PDAC) est l'une des principales causes de décès par cancer et, même si la chirurgie peut être curative, la grande majorité des patients rechutent même lorsqu'ils reçoivent une chimiothérapie supplémentaire. Bien que les PDAC soient généralement résistantes aux immunothérapies, l’existence de néo-antigènes immunogènes peuvent servir de cibles pour la vaccination. Sur cette base, les échantillons de PDAC réséqués chirurgicalement ont permis de fabriquer des vaccins personnalisés d'ARNm ciblant 20 néo-antigènes par patient. Les résultats de phase I précédemment publiés (Rojas LA, Nature 2023) ont démontré (1) des fortes réponses immunologiques ex-vivo chez 50 % des patients, (2) une expansion et un suivi longitudinal des lymphocytes spécifiques de ces néo-antigènes atteignant jusqu'à 10 % de tous les lymphocytes T du sang périphérique. Après un suivi médian de 1,5 ans, aucun des patients ayant répondu au vaccin (n = 8) n'a présenté de signe de récidive par rapport aux non-répondeurs. Ces 8 patients ont présenté des réponses durables à 3 ans et 75 % des réponses de lymphocytes T CD8+ étaient encore polyfonctionnelles. Une étude randomisée de phase II est actuellement en cours.
Le vaccin universel, l’alternative des vaccins personnalisés :
L’équipe de l’Universitré Paris Saclay, INSERM U1310 à Villejuif, ont présenté les travaux d’immunothérapies vaccinales universelles dirigés par les Pr. Frank Griscelli, Pr Ali Turhan et Pr Annelise Bennaceur. Malgré le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques d’immunothérapie, les cancers les plus agressifs (comme le cancer du poumon non à petites cellules, les cancers du sein triple négatif, cancers digestifs du pancréas et des voies biliaires, le glioblastome..) s’associent à un haut risque de résistance aux immunothérapies, avec le développement des métastases à l’origine des décès. L’une des raisons est attribuée à la persistance de cellules souches cancéreuses (CSC) dormantes évoluant vers une progression par des rechutes et des métastases. L’équipe étudie depuis plusieurs années le programme génétique de ces CSC. Ils ont ainsi découvert une nouvelle famille d’antigènes immunogènes. Ces recherches ont abouti au développement d’une approche vaccinale révolutionnaire basée sur le paradigme selon lequel les CSC et les cellules souches pluripotentes partagent les mêmes antigènes avec la capacité d'engager une forte réponse immunitaire antitumorale. Il s’agit d’un vaccin universel ‘agnostique’ capable d’éradiquer les CSC communes à de nombreux sous type de cancers. L’équipe a démontré l’efficacité et la tolérance de ce vaccin curatif et préventif chez l’animal, dans le cancer du poumon et le cancer du sein métastatique. Le vaccin permet à lui seul d’activer spécifiquement le système immunitaire qui réduit la masse tumorale et préviens les métastases ou élimine les métastases établies en préservant la survie des animaux. Ce vaccin en association avec un anti-CTL4 ou anti-PDL1 lève la résistance de ces cancers aux immunothérapies qui déclenche une nouvelle réponse immunitaire par le recrutement de Lymphocytes T CD8+ cytotoxique au sein de la tumeur, des lymphocytes CD4+ et B activés. Par ailleurs, la vaccination entraine la génération d’un pool de lymphocytes mémoires contre la tumeur et les métastases sans effets secondaires, pour une protection durable.
D’autres approches d’immunothérapies cellulaires en cours de développement dans l’Unité U1310 visent à injecter de cellules immunitaires T, NK ou Macrophages issues des cellules souches pluripotentes comme biothérapies prêtes à l’emploie.
Grâce au soutien de Vaincre le Cancer, Mathias Huygues a présenté son projet de Thèse de science dirigé par le Pr F. Griscelli dans l’Unité U1310. Les résultats démontrent l’efficacité fonctionnelle des cellules ‘Natural Killer’ générées in-vitro par deux méthodes de différenciation des cellules souches pluripotentes ‘iPSC’.
Amplifiables à grande échelle, ces cellules sont génétiquement modifiées pour cibler des antigènes spécifiques dans les LAM et les tumeurs solides et agissent comme le Cheval de Troie pour tuer les cellules cancéreuses en contournant par ailleurs les actions immuno-suppressives de la tumeur.
D’autres stratégies d’ingéniérie cellulaire et génomique vont élargir le champ des biothérapies dans les prochaines années, avec un arsenal thérapeutique significatif à but curatif dans les cancers agressifs et dans d’autres pathologies comme par exemple les maladies auto-immunes.